Rencontre avec Thierry Marx, Île-de-France le Désir de Bien Faire

Beaucoup de personnes connaissent ton parcours professionnel mais moins ton parcours chez les Compagnons. 
J’ai fait un apprentissage de pâtissier à l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir et c’est vraiment ce qui m’a permis de sortir du quartier difficile dans lequel j’ai grandi. Je travaillais chez le traiteur Dalloyau où il y avait pas mal de jeunes de l’Association. C’est comme ça que je me suis mis à fréquenter la place Saint-Gervais. Tous les soirs il y avait des cours de mathématique ou de français et j’en avais vraiment besoin ! J’ai même suivi les cours de dessin et de trait. Il y avait aussi ce petit côté « bande » entre jeunes qui n’était pas pour me déplaire. Personne ne venait nous chercher des problèmes et nous avions la protection du grand pâtissier Pascal Niaud qui en plus nous donnait des cours de dessin. 

Puis j’ai fait mon service militaire ce qui a mis un terme à la suite de mon aventure dans le Compagnonnage. Démobilisé je reviens en France et j’enchaine les petits boulots. Heureusement, je vais faire de belles rencontres qui vont me soutenir à reprendre des études et passer un CAP en cuisine. Je pars en Australie pendant un an et à mon retour je vais travailler chez les chefs Georges Pralus à Roanne et Claude Deligne à Paris ; c’est Claude qui me mettra en relation avec Joel Robuchon. J’avais vu une fois Joël avec sa canne, son écharpe rouge de Compagnon, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à nouveau au Compagnonnage. Le Compagnon Yves Thuriès fût aussi, au travers de ses livres, une rencontre importante lors de mon apprentissage. J’avais 30 ans quand je suis rentré à l’Union à la Cayenne de Tours en 1989. Le 6 octobre 1990 je passe Aspirant et c’est le Pays Plisson, Ile de France la Fidélité, qui me parraine. J’avais présenté un travail sur Antonin Carême et le Congrès de Vienne. La critique avait été assurée par les Compagnons Classiot, de Lausanne, Fleury et Martineau, de Paris. Je fréquente ensuite les Compagnons Vallin, Blanchard et beaucoup d’autres. Je n’avais pas encore fait beaucoup de maison et ils m’ont permis de vite progresser. J’ai travaillé ensuite à Nice avec Chapel, à Toulon et Nîmes et c’est rue de la Rôtisserie au sein de notre Cayenne de Tours que je reviens présenter la réception le 5 octobre 1991.

Thierry Marx

Je fréquente ensuite les Compagnons Vallin, Blanchard et beaucoup d’autres. Je n’avais pas encore fait beaucoup de maison et ils m’ont permis de vite progresser. J’ai travaillé ensuite à Nice avec Chapel, à Toulon et Nîmes et c’est rue de la Rôtisserie au sein de notre Cayenne de Tours que je reviens présenter la réception le 5 octobre 1991. Le sujet de mon travail est à nouveau en rapport avec l’histoire de la gastronomie puisqu’il avait pour thème la salade de homard Bagration. La critique fut faite par les Compagnons Dubray, de Paris, Latapie et Foucher, de Rennes et Jacquet, de Tours. C’est ce soir-là que je reçu mon nom de Compagnon : Ile de France le Désir de Bien Faire, Compagnon Cuisinier des Devoirs Unis. 

Je quitte alors Tours et le restaurant de Montlouis où j’ai obtenu ma première étoile et je deviens responsable des restaurants de Régine. 

Thierry Marx compagnon cuisinier à l'union compagonnique ile de france

Que retiens-tu de ces années avec les Compagnons ? 
Le Compagnonnage était le cadre structurant et éducationnel dont j’avais besoin à l’époque. Et du sens aussi : le sens de l’honneur, de la parole donnée. Chacun devait tenir sa gâche proprement et il y avait de vrais échanges. On bénéficiait d’une transmission de savoir-faire qui était extrêmement intéressante. Je ressentais réellement ces notions de Tradition et de symbolisme autours de moi. J’ai encore le souvenir des conduites, des longues soirées de réceptions et des critiques des admissions. Tout le monde mettait la main à la pâte ! J’avais besoin d’un cadre et d’une famille ; les Compagnons me l’ont offert. Le Compagnonnage est un soutien et un cadre qui nous oblige à être à la hauteur de nos ainés et nous engage à tenter de les dépasser. Il nous tire vers le haut quel que soit notre origine et notre niveau professionnel. 

Quand tu parles de symbolisme tu penses à quoi ? 
La première image pour moi c’est l’équerre, le compas et l’initiation. 

Ça t’intriguait ?
Oui, ça m’intriguait… En même temps, je venais de quartiers un peu compliqués donc il n’y a pas grand-chose qui m’intriguait vraiment ! Disons que le symbolisme, le rituel, ça pose des règles, sans agressivité. En apprentissage je n’ai jamais entendu un Prévôt avoir un mot plus haut que l’autre ou dire n’importe quoi. On mettait une cravate pour manger à table, si tu disais une vulgarité tu mettais cinq francs dans la boite. Simple et efficace. 

Tu as un engagement important dans la formation et tu n’hésites pas à créer des écoles dans les quartiers populaires. Penses-tu que le Compagnonnage puisse être une proposition pour des jeunes en rupture avec les parcours classiques d’apprentissage ? 

Oui, c’est clair ! Je dirai qu’il ne faut pas passer à côté de ces jeunes. Bien souvent, les gens qui sont en situation de précarité sociale, éloignés de l’emploi et des réseaux d’accompagnement éducatif, ont, à un moment donné, besoin d’un cadre ; d’un cadre bienveillant. Ensuite peu importe le métier ; nous avons des métiers passions et par conséquent il y a parfois des sacrifices à faire. C’est pour cela qu’il faut être très clair dès le départ et poser les règles : rigueur et engagement. Je pense que l’Union Compagnonnique est en mesure de proposer un cadre éducationnel où les Compagnons peuvent devenir de véritables exemples pour certains jeunes. L’entraide et la fraternité, doivent aussi être des valeurs fortes et retrouver toute leur place parmi nous. Depuis 900 ans le Compagnonnage a toujours cherché à créer des hommes libres et instruits. Je crois que l’absolu désir de modernité nous a fait perdre quelques repères fondamentaux. 

Afin de répondre aux demandes de formations et à l’intérêt pour le Compagnonnage, notamment dans certains métiers d’art, l’Union met en œuvre depuis quelques mois une politique de partenariats avec des lycées professionnels dans lesquels les jeunes apprentis pourront être accompagnés par les Compagnons. Comment expliquer que l’Union, avec sa forte représentation des métiers de bouche, n’ait pas su créer un centre de formation dans ce domaine selon toi ? 

Bonne question… je pense que les Compagnons qui nous ont servi de modèles dans les années 90 avaient une visibilité incroyable et qu’ils auraient pu à ce moment-là créer un centre de formation d’excellence. Je crois qu’aujourd’hui nous pourrions encore aller plus loin en créant un CFA des métiers de bouche et des arts de la table avec des potiers, des faïenciers et des couteliers. Nous avons tout ça à l’Union ! Un CFA d’excellence où la notion d’engagement ne serait pas un vain mot. Il faut un premier lieu, montrer que ça marche et ensuite le développer dans toutes les régions avec certains spécialisations. On peut aujourd’hui trouver des financements pour lancer un tel projet et il y a des fondations qui sont prêtes à soutenir. 

Je crois aussi qu’il faut que l’Union s’appuie sur des écoles réputées comme Médéric à Paris avec lesquelles on pourrait développer une sorte de bachelor Compagnonnique mais accessible à tous dès lors que la motivation, la rigueur et l’engagement sont là. 

N’est-ce pas là le risque de présenter une fois de plus le Compagnonnage comme n’importe quel autre centre de formation ? 
Non, mais c’est une bonne porte d’entrée. Si l’Union devient un CFA lambda ça ne marchera pas. Il faut mettre en application ces mots « tradition et modernité ». Gustave Malher dit « la tradition c’est pas l’adoration des cendres, c’est la transmission de la passion. »

La formation tout au long de la vie est aussi essentielle pour les Compagnons eux-mêmes. Le Compagnon doit continuer d’apprendre tous les jours ; et si l’Union peut organiser des cours pour permettre aux jeunes Compagnons de continuer de se former sur des sujets totalement différents ce serait vraiment une plus-value énorme. La seule formation que m’a proposé à l’époque l’Union c’est des tours de brouettes sur le chantier de restauration du siège de Versailles. Je suis venu deux ou trois fois et c’est tout.  Je suis donc forcément heureux de voir que l’Union, aujourd’hui, est prête à prendre des risques et à investir sur les sujets de la communication, de la formation et de sa jeunesse. 

Ta définition de la Fraternité ? 
La fraternité c’est pas de porter l’autre, mais c’est de l’aider à s’épanouir. 

Propos recueillis par F.Thibault publiés dans le Journal Le Compagnonnage n°827

Photos :
© Marshall Kappel
© Mathilde de l’Ecotais